Musée d'Art Moderne de la ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris
France
Paysage VII, 2015
Original artworks from the collections of the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris by Daniel Spoerri, Per Kirkeby, Markus Lüpertz, Rosemarie Trockel, Pierre Lebasque, Maurice Marinot, 20th century
Adoptant la forme d’un diptyque, le film Premier rêve d’Oskar Fischinger rend hommage au réalisateur allemand pionnier du cinéma abstrait, Oskar Fischinger (1900-1967). Divers objets agencés (matériel optique, statuettes africaines en ivoire pour la première partie et sulfures en cristal coloré pour la seconde) sont filmés en panoramique ou en plans fixes selon divers points de vue jusqu’à l’abstraction. Décloisonnant les genres, l’oeuvre opère une transposition entre le décor et la peinture classique paysagère, le cinéma expérimental abstrait et la figuration, créant un trouble entre les apparences et le réel. L’artiste réitère avec ce film son intérêt constant pour le paysage. Le dispositif, une réactivation de l’installation Paysage avec Poussin et témoins oculaires aborde les mêmes questionnements et interroge la picturalité, la représentation, la composition, la perspective et le point de vue.
Le travail d’Isabelle Cornaro (née en 1974) traite du regard et de la perception à travers l’histoire de la représentation du paysage notamment. Ses installations concilient les champs artistiques, (abstraction et figuration) les styles et les registres (émotionnel et théorique). Elles se composent d’oeuvres plastiques, d’objets décoratifs et domestiques, d’ornements et de matériaux organiques.
Entretien mené par Jessica Castex (commissaire de l’exposition Apartés) avec Isabelle Cornaro
JC: Comment s’articule le lien entre ton film et les oeuvres que tu as sélectionnées dans la collection ?
IC: Je me suis amusée à chercher dans les collections des oeuvres ayant des liens formels ou des intérêts que je partage : la notion de point de vue, le rapport à l’objet et au motif ornemental, le rapport au langage, une relation aux formes naturelles entre mimétisme et schématisation, un usage de la couleur « par explosions » ou abstrait ; enfin, un tropisme pour l’informe.
JC: L’installation prend la forme d’une réactivation de ton oeuvre Paysage avec Poussin et témoins oculaires ; pourquoi le choix de ce dispositif ?
IC: Les Paysages avec Poussin et témoins oculaires sont des installations frontales composées de socles et de cimaises placées en perspective, sur lesquels sont disposés des objets variés. Les objets sont trouvés, ils proviennent de sources diverses, et sont mis en regard pour créer une narration sur la collection, le fétichisme, la valeur d’échange etc… Ici, les modules socle-cimaise composent également un dispositif pour présenter les objets issus des collections du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, mais suivent une organisation plus ramassée et qui n’inclut pas vraiment de système perspectif – et encore moins de lecture frontale puisque l’on peut tourner autour de l’installation.
JC: Aux côtés d’oeuvres abstraites (Brion Gysin, Jutta Koether, Jean Crotti, etc), d’objets décoratifs (Perey), tu présentes des dessins préparatoires (Maurice Marinot, Outils du verrier et flammes) ou des projets textiles (Raoul Dufy, Les coquillages). Pourquoi avoir réuni des oeuvres de statuts différents ?
IC: Je m’intéresse à notre relation aux objets usuels et aux objets d’art, à la nature et au statut de ces objets ; dans ce sens, il est important que les objets mis en regard dans les installations soient de statuts divers.
JC: Ton film Premier rêve d’Oskar Fischinger et l’installation Paysage avec Poussin et témoins oculaires questionnent la peinture de paysage. L’oeuvre de Daniel Spoerri Détrompe l’oeil, tableau illusionniste recréant, à partir d’objets familiers, une jungle en hommage au Douanier Rousseau, reprend également des principes similaires. Peut-on concevoir ta proposition comme une mise en abyme des réflexions portées sur les notions de perspective, de couleur et de picturalité ?
IC: L’oeuvre de Spoerri, par son renversement vertical, propose un point de vue surplombant qui devient frontal – dans ce sens il joue sur l’illusionnisme et la « désillusion » du regard ; et les objets y sont considérés pour eux-mêmes. Dans les Paysages avec Poussin et témoins oculaires et Premier rêve d’Oskar Fischinger, on trouve également des changements de points de vue, puisque l’on se déplace dans les installations après les avoir abordées de manière frontale, suivant un mode perspectif. Les cadrages et le montage du film permettent aussi de voir les mêmes objets à différentes distances. Dans ces installations, les objets sont choisis pour leur symbolique historique, sociale ou émotionnelle, mais constituent également des éléments graphiques et picturaux.
JC: Pourquoi le choix d’un tableau de Nicolas Poussin comme modèle ? Permet-il de mieux développer un processus de déconstruction, de reconstruction, d’organisation ?
IC: Les tableaux paysagers de Nicolas Poussin m’ont intéressée parce qu’ils sont archétypiques du paysage classique. La construction de ces peintures, avec une structure géométrique forte, leur donnent un caractère abstrait qui permet une transposition en d’autres formes.
JC: Tes oeuvres comportent une dimension théorique et référencée à l’histoire de l’art, ainsi qu’une réflexion plastique expérimentant divers supports, différentes techniques, un rapport à l’objet usuel ou décoratif ; cette approche est-elle le fait de ta double formation d’historienne de l’art et d’artiste plasticienne ?
IC: Ce rapport à l’histoire de l’art me parait plus prégnant dans le mode de construction et la problématique des pièces que dans l’usage de références précises, qui est finalement assez anecdotique – la relation de mes pièces à des oeuvres historiques étant très libre et transposée.
JC: Nicolas Poussin construisait ses tableaux en s’aidant de maquettes et de figurines, procèdes-tu de même pour composer tes installations ?
IC: Poussin plaçait ses figurines dans une boite pour ensuite les regarder à travers un trou et retrouver ainsi la frontalité et la planéité de l’image picturale. Pour ma part, je réalise des maquettes pour avoir une idée de l’occupation des objets (socles et cimaises) dans l’espace, et aussi pour visualiser la composition qu’ils forment depuis un point de vue frontal – le travail de composition se finalise toujours avec les objets réels, dans l’espace d’exposition. Socles et cimaises constituent le mobilier muséographique valorisant l’objet exposé.
JC: Pourquoi le choix de ce vocabulaire ? Pourquoi un mobilier adoptant une forme sculpturale et décorative ?
IC: Ce mobilier détermine un contexte pour appréhender les objets : c’est un contexte historicisé par les champs de la muséographie, des arts décoratifs et du design, et problématisé au sein de l’art conceptuel et de l’art minimal qui en a opéré une réduction ; c’est plutôt dans cette perspective que je me place. S’il y a brouillage des catégories esthétiques, c’est plus à cet endroit que dans le choix d’objets de sources diverses.