Le portique
30 Rue Gabriel Péri
76600 Le Havre
Deuxième monde, 2025 La matière, 2025 Eyesore II, 2025 Transient, 2020 Flowers, 2023
Le Portique accueille l’artiste Isabelle Cornaro et présente l’exposition Loop and Wip, composée d’une rétrospective filmique et de trois nouvelles oeuvres produites spécifiquement pour le lieu. L’ensemble du dispositif imaginé par Isabelle Cornaro se présente comme un palimpseste visuel déployé dans l’espace, questionnant le rapport texte/image/son, à travers un dialogue entre des images-mouvement – tantôt diffusées sur écran, et sonorisées, tantôt projetées- et des mots déployés sur les murs du centre d’art.
Les images, les sons, et les textes, assemblés sous forme de collages non linéaires, évoquent le banal et le quotidien, mais aussi ce qui est de l’ordre du rêve éveillé, de l’hallucination et du fantasme. Le titre anglais de l’exposition a d’ailleurs été formulé lors d’un rêve.
Loop and Wip traduit ainsi le double mouvement d’une pensée circulaire, obsessionnelle, « en boucle », et peut renvoyer au travail de montage filmique, tandis que « to wip » traduit le geste d’un « balayage », pointant la nécessité de remettre constamment en jeu les épaisseurs d’affects, de pulsions, de culture, qui constituent nos repères sociaux et intimes.
Flux, La matière
La matière, texte mural qui investit les salles et les espaces de circulation suivant une proposition graphique de Gilles Gavillet, sert de fil conducteur à la déambulation. Utilisé pour la première fois par l’artiste, le texte questionne le régime des images et des sons en démultipliant les espaces de projection: les murs se transforment en « écrans », réceptacles de signes graphiques aux échelles variées. Il est composé d’un collage de différents textes trouvés, extraits des archives personnelles de l’artiste, et mêle l’anglais et le français, style descriptif « réaliste » (en écho aux images et sons de la vidéo Deuxieme monde) et style science-fictionnel (relatif à l’animation Eyesore II), décrivant par ellipses des images rémanentes – persistances aussi bien rétiniennes qu’imaginaires.
« Vingt-quatre fois la vérité par seconde », Deuxième monde
L’installation Deuxième monde, disposée de manière sculpturale au centre de l’espace et composée d’une structure métallique et de 15 écrans Led de dimensions variées, présente un montage vidéo de 7’50’’ fait d’images de différentes sources évoquant frontalement le monde contemporain, les flux d’images qui nous entourent, et la perception intime que l’on peut en avoir. Images d’archives, de guerre, amateures, séquences de films issus du cinéma de genre et expérimental, images publicitaires et animations scientifiques se déclinent, superposent et combinent sur une musique de Julien Civange, volontairement répétitive et brutale, dont la rythmique soulignée accompagne les 6 séquences successives de la vidéo. Les images de métaux en fusion succèdent à celles de films d’horreur – ainsi les yeux exorbités de Linda Blair dans le cultisme film de William Friedkin, L’exorciste – ; les paysages et les corps sont exploités, ouverts, observés de haut par des drones et fouillés de l’intérieur par des caméras souterraines ou microscopiques ; les oeuvres d’art (de Francisco Goya, Gustave Moreau, Edward Kienholz et Sigmar Polke) rejouent l’histoire et l’actualité politiques dans un montage dynamique et percutant, qui brouille notre lecture des images et complexifie les différentes narration qui s’y cachent. Ces images fulgurantes sont autant d’indices prélevés dans l’imaginaire occidental et devenus signes, qui servent de matière à l’artiste pour révéler les structures sous-jacentes de notre inconscient collectif, fait d’impressions, de surimpressions, de détonations, et de pensées équivoques.
Animus, anima, animé, Eyesore II
Au second étage, cinq écrans disposés en croix diffusent Eyesore II avec un léger décalage, générant des combinaisons d’images toujours changeantes. Ce film d’animation, dont les dessins ont été réalisés par Victorin Ripert et la musique trouble, animée de flûtes légères, par Julien Civange, présentent 9 séquences dépeignant un monde « science-fictionnel », où les humains se transforment en objets et en animaux, sont« abductés » par des Titans, dévorés par des espèces inconnues ou par des machines. Relatives au rituel, à la séduction et à la violence, ces séquences montrent des espaces dévastés par la guerre ou sous surveillance, des corps en lévitation et des corps désirants, des objets appartenant à des rituels anciens – un monde anthropophage et métamorphique, tantôt archaïque, tantôt futuriste.
Rétrospective, 18 films
Le parcours de l’exposition s’achève par la projection d’un programme rétrospectif composé de 18 films en couleur et muets, réalisés par l’artiste depuis 2008. L’occasion de s’immerger dans son corpus de films en 16mm et d’animations, dont la grammaire formelle simple (plans fixes, panoramiques latéraux, répétitions de plans identiques, superpositions ou colorisations), et imprégnée des codes du cinéma structurel, joue avec la matérialité puissante des corps, objets, surfaces et textures représentés. De cette « abstraction matérialiste » émerge une image ambiguë de notre histoire culturelle et politique européenne, faite d’objets fascinants et de violence.
Solène Bertrand